Extrait de "William Shakespeare" par Victor Hugo

 

Il y a une douzaine d’années, dans une île voisine des côtes de France, une maison, d’aspect mélancolique en toute saison, devenait particulièrement sombre à cause de l’hiver qui commençait.[...]

 

Un matin de la fin de novembre, deux des habitants du lieu, le père et le plus jeune des fils, étaient assis dans la salle basse. Ils se taisaient, comme des naufragés qui pensent.

 

Dehors il pleuvait, le vent soufflait, la maison était comme assourdie par ce grondement extérieur. Tous deux songeaient, absorbés peut-être par cette coïncidence d’un commencement d’hiver et d’un commencement d’exil.

 

Tout à coup le fils éleva la voix et interrogea le père :

 — Que penses-tu de cet exil ?

 — Qu’il sera long.

 — Comment comptes-tu le remplir ?

 Le père répondit :

 — Je regarderai l’Océan.

 Il y eut un silence. Le père reprit :

 — Et toi ?

 — Moi, dit le fils, je traduirai Shakespeare.

I

 Il y a des hommes océans en effet.