"Écoute : on n'est pas maître de soi-même, amoureux comme je suis de toi, et vieux. On est jaloux, on est méchant; pourquoi ? Parce que l’on est vieux ; parce que beauté, grâce, jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace ; parce qu'on est jaloux des autres et honteux de soi. Dérision ! Que cet amour boiteux, qui nous remet au cœur tant d'ivresse et de flamme, ait oublié le corps en rajeunissant l’âme ! Quand passe un jeune pâtre,— oui, c'en est là !— souvent, tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant, lui dans son pré vert, moi dans mes noires allées, souvent je dis tout bas : — mes tours crénelées, mon vieux donjon ducal, que je vous donnerais, oh ! que je donnerais mes blés et mes forêts, et les vastes troupeaux qui tondent mes collines, mon vieux nom, mon vieux titre, et toutes mes ruines, et tous mes vieux aïeux, qui bientôt m'attendront, pour sa chaumière neuve et pour son jeune front ! — Car ses cheveux sont noirs, car son œil reluit comme le tien. Tu peux le voir et dire : ce jeune homme! Et puis penser à moi qui suis vieux. Je le sais ! Pourtant j'ai nom Silva ; mais ce n'est plus assez ! Oui, je me dis cela. Vois à quel point je t'aime. Le tout, pour être jeune et beau comme toi-même ! Mais à quoi vais-je ici rêver? Moi, jeune et beau ! Qui te dois de si loin devancer au tombeau !"

 Hernani